La forge de lames de fer météorique au Japon

Origine des sabres de fer météorique :

Les sabres de fer météorique sont appelés ryûseitô (sabre d’étoile filante) en japonais. Le nom fut donné par Takeaki Enomoto (1836-1908). Ce dernier, issu d’une famille de samouraï, servit le shogounat puis le gouvernement Meiji, devenant ministre des affaires étrangères et amiral. Après avoir été en poste en Russie, à Saint-Pétersbourg, Il entendit parler de la présence d’une lame en fer météorique dans les trésors du tsar (un sabre offert par James Sowerby au tsar Alexandre I en 1814).

Sabre offert par James Sowerby au tsar Alexandre I

Il commanda en 1895, auprès du forgeron Okayoshi Kunimune, quatre lames (deux lames « longues » et deux lames « courtes » ; on parle parfois d’une cinquième lame qui aurait disparu pendant la seconde guerre mondiale) faites à base de fer météorique (météorite de Shirahagi, achetée par Enomoto en mars 1895) et qu’il surnomma donc ryûseitô. Une lame longue fut offerte au futur empereur Taishô, l’autre est conservée à l’université agricole de Tôkyô. Une lame courte fut offerte au sanctuaire Ryûgû de Otaru à Hokkaidô, une autre est conservée au musée des sciences de la ville de Toyama. Ce fut la première fois que du fer météorique fut forgé au Japon.

Ce n’est cependant pas la première fois que le fer météorique fut utilisé dans l’humanité. Avant que le fer put être extrait des différents minerais par l’homme, la principale manière de l’obtenir était d’utiliser le fer météorique, provenant dons des météorites. L’usage du fer météorique a ainsi pu être confirmé pour divers objets, bien souvent antérieurs à l’âge du fer en Eurasie et en Afrique du Nord (Turquie, Grèce, Syrie, Irak, Liban, Egypte, Iran, Russie et Chine).

Différents clichés de la dague en fer météorique issue de la tombe de Toutankhamon

La dague de Toutankhamon est très certainement l’un des objets les plus connus mais il y a 3000 ans, en Chine, on créait également des haches bi-métalliques à emmanchement en bronze et lame en fer météorique (qui ont moins bien vieilli que la dague de Toutankhamon).

Haches bi-métalliques chinoises

L’usage de fer météorique en Europe Central et Occidentale semble assez rare et sa présence ne pu être constatés que sur trois sites (deux en Pologne et un en Suisse) de l’âge du bronze. Des épées occidentales purent aussi occasionnelement être réalisées (comme l’épée de Terry Pratchett, mais ce n’est pas le sujet ici.

Pointe de flèche en fer météorique découverte en Suisse

En amérique (Canada) et Groënland, l’usage est plus récent, remontant à 800 avant notre ère et continué jusqu’à récemment par les populations inuits.

Outils en fer météorique inuits

Dans le cadre du Japon, l’utilisation du fer météorique apparut ainsi alors que les techniques de forge atteignaient déjà un très haut niveau technique. La création de ce type de sabre, qui est alors plus considérée comme étant une oeuvre d’art que comme une arme, a permis à l’association pour la préservation des sabres d’art japonais (NBTHK) de permettre encore actuellement la production de sabre à base de fer météorique.

C’est ainsi que plusieurs forgerons japonais (Hokke Saburô Nobufusa, Yoshiwara Yoshindo, Fujiwara Kanefusa) purent s’y essayer depuis, lorsque les commanditaires apportent leur propre fragments de météorites. Mais, forger du fer métorique, qu’est-ce que ça change par rapport à l’acier ? C’est ce que je vais expliquer ici.

La forge d’une lame météorique

Je voudrais présenter ici les enjeux techniques d’une telle réalisation, en me basant sur les tweets explicatifs d’une bonne connaissance, le forgeron de sabre Andô Hiroyasu (@AndoYusuke819). Il a en effet eu une commande de lame en fer météorique à honorer et à documenter son travail. Cet article et les photos qui suivent (qui lui appartiennent) ont été réalisés avec son accord en amont.
A noter qu’il peut être recommandé d’avoir quelques notions de forge et des caractéristiques du métal employé pour mieux comprendre la suite de l’article. Pour se faire, merci de consulter cet article pour le métal, et cette page pour les bases de la forge d’une lame.

Le fer météorique est en général composé de fer et de nickel. Il faut d’abord savoir que les comportements de chaque fer météorique différent légèrement en fonction de leur composition (et plus précisément le taux de nickel), le travail n’est jamais simple…

Lors de sa première confrontation à ce métal, le forgeron fut surpris que, contrairement à l’acier, alors que le fer météorique ne comporte pas de carbone, il est peu voire pas ductile tout comme la fonte qui, elle, en comporte beaucoup. Les soudures à chaud sont également plus difficiles en fonction de la présence ou non de plage de nickel. D’après le forgeron, il s’en dégagerait également une odeur étrange, assez différente de l’acier. Pour faciliter la forge et pouvoir produire une lame convenable, le forgeron cherche généralement à augmenter le taux de carbone en y associant de l’acier, ici du tamahagane. Une seule lame a notre connaissance a été réalisée sans ajouter d’acier, la rendant par conséquent très peu tranchante.

Après avoir pu allonger la trousse, le forgeron a alors pu constater la formation d’une zone de couleur un peu différente au centre, l’acier associé au fer météoritique se serait combiné pour créer une structure relativement dure, proche d’un acier inoxydable d’après le forgeron, qui résiste beaucoup plus fortement à la lime que le reste de la plaque.

L’allongement en barre, très difficile, commença à révéler déjà des motifs particuliers à l’emploi de fer météorique, mais du fait d’une couche d’oxydation en surface de la barre (peut-être lié à la réaction entre la cendre de paille et le fer météorique d’après le forgeron), l’attaque à la lime en surface n’est réalisé que lorsque la barre est chaude.

Lorque nécessaire, une structure en kōbuse-gitae (voir cet article) fut aussi mise en place, mais la encore, les impuretés de type nickel ne facilitèrent pas la tache.

La lame fut ensuite mise en forme (étape du hizukuri, voir cet article) continuant toujours de révéler des motifs impensables à ce stade pour une lame normale. Une légère courbure a aussi été mise en place car le fer météorique a tendance à moins se courber sous l’effet de la trempe que l’acier traditionnel (la dernière photo représente une mise au refroidissement lent de la lame dans de la cendre de paille de riz à la fin de l’opération.

Un polissage prend ensuite place en vu de la trempe (voir cet article).

Et voici une vidéo de la trempe :

Les quelques superbes clichés pris au cours des polissages post-trempe sont vraiment magnifiques. Après la trempe, la lame fut ensuite passée à la bande pour le tranchant puis un polissage à la pierre.

La soie a ensuite été limée (comme traditionnellement), mais là encore, la composition du fer météorique s’entrevoit même au travers du motif de lime.

Voici une des lames finies, avec l’inscription du nom du forgeron et du commanditaire. Le commanditaire étant une femme (son nom est caché sous le pouce du forgeron) souhaitant cette lame comme objet décoratif et porte-bonheur, le forgeron a choisi de faire réaliser le habaki en or rosé.

L’année suivante, le forgeron avait essayé de refaire des lames. Le forgeron décida de réutiliser les mêmes matériaux mais en changeant le type de grain (en l’occurrence ici un grain de type « masame », lignes de bois rectilignes ; pour mieux comprendre les types de grain, voir cet article).

Voici les lames post trempe avec ce grain en « masame ».

Le fer météorique remet donc à chaque fois en question les acquis du forgeron, les seuils de températures à atteindre variant en fonction du taux de carbone dans l’acier ajouté au fer météorique. Un travail compliqué mais dont le résultat est magnifiques.

Encore merci à Andô Hiroyasu de m’avoir permis de diffuser ses images et une partie de son expérience ici.

Pour finir, à noter que les techniques antérieures à l’âge du fer pour forger le fer météorique sont encore mal comprises. C’est dans cet optique que le professeur Murakami Yasuyuki, de l’université de Ehime, vient de développer un programme de recherche des anciennes techniques de forge, avec l’aide de forgerons et d’autres archéologues, via un crowdfounding, compte tenu de l’ampleur et du prix de la recherche pour acquérir ne serait-ce que le matériau. Voici le lien vers le crowd founding.

https://readyfor.jp/projects/meteorite

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